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Sur les écrans de Locarno, le corps est dans tous ses états et le cinéma se fait du mauvais sang

Si l’on rassemblait tous les accessoires horrifiques (pétards, faux sang, armes) qui ont servi à fabriquer les films de la soixante-dix-septième édition du Festival international du film de Locarno, en Suisse, laquelle a eu lieu du 7 au 17 août, on pourrait organiser une gigantesque fête de vampires ou de fin du monde sur la Piazza Grande… Car la vie a du plomb dans l’aile et l’horizon s’obscurcit, si l’on en croit les scénarios de plusieurs œuvres issues de la compétition ou des sections parallèles. Mention spéciale à Agora, du Tunisien Ala Eddine Slim, en lice pour le Léopard d’or − la remise des prix est prévue pour la soirée de samedi 17 −, où un corbeau dialogue avec un chien bleu sur la folie humaine. On aura vu aussi une jeune fille se raboter la main à la râpe à fromage, une autre s’immoler par le feu…
Au début du festival, le directeur artistique, Giona A. Nazzaro, avait assumé une sélection de films reflétant « l’état du monde », et il est vrai qu’à cette aune il y a de quoi se faire du mauvais sang. Tout l’art de certains metteurs en scène dont les longs-métrages concourent pour le Léopard d’or aura été de sublimer ces périls en une matière surprenante, ne reculant devant aucun tabou. Voilà qui ne devrait pas déplaire à la présidente du jury, la réalisatrice autrichienne Jessica Hausner, adepte du bizarre, qui, dans Club Zero, en compétition à Cannes en 2023, scrutait le dérèglement des corps.
Dans Salve Maria, la réalisatrice espagnole Mar Coll transforme un récit de maternité en un film à suspense dans la veine de Hitchcock − certes un peu alourdie par une thématique émancipatrice : après l’accouchement, une jeune écrivaine se sent un peu seule et a des envies de meurtre, alors que son nouveau-né ne cesse de pleurer et de régurgiter… De sombres pensées surgissent pendant le bain du bébé, un thème que l’on retrouvera étonnamment dans un autre film de la compétition, Mond, de la Kurdo-Autrichienne Kurdwin Ayub. Avec un humour féroce, les héroïnes de ces deux drames expliquent qu’il est bien plus simple de tuer un tout-petit que de l’éduquer.
Au fil des projections, ces dialogues vénéneux se sont mis à résonner avec d’autres œuvres revisitant des conflits dévastateurs, l’intime rejoignant ainsi la politique. Citons le documentaire Green Line, de Sylvie Ballyot, en lice également pour le Léopard d’or, un film à propos de la guerre au Liban, élaboré avec un dispositif audacieux : une maquette reconstituant des quartiers entiers de Beyrouth tour à tour démolis et reconstruits, avec ses personnages minuscules comme des Playmobil.
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